En 1982, l’association Ellebore ( www.ellebore.org/accueil.html ) a réalisé un film sur René Fauchard (1919 - 2004), pêcheur professionnel aux Ponts-de-Cé, et publié dans sa revue "Le Jase" les entretiens réalisés lors du tournage du film. Avec l’aimable accord de Ellebore, nous avons pensé utile de publier ces entretiens car, en fait, c’est le portrait d’un pêcheur qui appartient au patrimoine humain de la Loire angevine. C’était un personnage truculent et attachant et il campe la vie des pêcheurs professionnels de cette époque.
Q Ça fait combien de temps que vous êtes pêcheur sur la Loire ?
Ça va bientôt faire 40 ans. J'ai commencé en rev'nant du régiment, alors c'est pas hier ! Pis c'est ma dernière année.
Q C'est votre dernière saison ?
Oui, ben, eh, oh ! Après, c'est la "boîte en bois", hein ! Doucement ! Après, quand je serai en r’traite, eh ben j'irai à la pêche ! Ouais, tous les r'traités pêcheurs que j'ai connus viennent tous au bord ; c'est malgré eux, dans l'année si i viennent pas deux, trois fois, les gars ! Alors i racontent toujours les vieilles histoires de dans I’temps !
Q Vous avez fait votre apprentissage avec qui, vous ?
Celui qui m'a appris à pêcher ? C'est Payneau. Celui qu'a l'jardin en face, là ! Il a 87 ans ! Ça l'fait pas mourir, la preuve, la preuve ! Et lui, faut dire qu'il a fait ça depuis sa plus tendre jeunesse, hein !
Q Vous avez commencé à quel âge, vous ?
21 ans, en r'venant du régiment. Mon frère celui qu'est à la Possonière, a commencé à 13 ans. Il est rentré chez un patron, chez un autre Payneau, un frère, et i y est resté toujours, jusqu'à temps qu'i soit patron à son tour !
Q Après chez Payneau, vous avez fait quoi ? A votre compte ?
Oui, depuis c'temps là... Ah, ben, j'ai arrêté cinq, six ans, là, quand y avait rien à fout' ! Parce que, dans l'temps, là d'dans, y avait ni assurance sociale, ni rien, hein ! Y avait rien ! Alors, j'ai eu des gosses, hein, alors... Mais maint'nant, c'est plus pareil, y a les assurances agricoles.
Q C'est rattaché à l'agriculture ?
Ah, oui, oui !
Q Et, vous êtes pêcheur de famille ? Votre père?
Ah, non, non, non ! Mon père tendait des bocelles comme ça, en amateur ! Il 'tait carrier, mon père !
Q Quels sont vos rapports avec les pêcheurs à la ligne ?
Ah, ben nous, vous savez, y en a deux ou trois qu'on voit comme ça, en bons copains, mais ça les intéresse pas du tout, l'saumon ! C'est un poisson qui s'capture pas à la ligne ! Les pêcheurs à la ligne, c'qu'ils n'aiment pas, c'est d'voir les trois mailles ou la senne ! Alors ça, c'est comme si on leur montrait un fusil !
Q Le saumon, c'est à quelle période ?
Régulièrement, dans l'temps, c'était du 20 décembre à fin mai. Mais maint'nant qu'ça a été règlementé, ça ouvre que mi janvier !
Q Et l'alose ?
L'alose, c'est comme maintenant jusqu'à mi-juin. L'été, j’pèche presque pas I’trois mailles, de temps en temps. Le filet à anguilles commence début septembre. C'est vite arrivé, hein ! Jusqu'au milieu d'mars. On peut avoir une prolongation d'un mois, si i s'trouve que le mois d'mars y a une crue, i donnent trois semaines, j'crois bien. J’ l'ai jamais eue moi, je l'ai jamais d'mandée. Quand on arrive à la fin février, c'est baisé ! Pis on peut pas êt' là pis au barrage. Deux lièvres à la fois, ça va pas ça !
Q Ils disent à Montjean qu'ils font leur saison avec les anguilles.
Ah, mais pour les anguilles, eux, c'est l'coin rêvé ! Ah, la, la, faut qu'elles passent toutes par là ! i font qu'ça, i font même plus le barrage ! Ils le mettent juste parce que y a une règlementation qui dit que si I'barrage n'a pas été mis une seule fois dans l'année, ils suppriment le lot ! Ils font des enquêtes administratives. Le barrage de St Mathurin a été supprimé comme ça. Le gars qu'avait l' lot avait pris ça comme ça, mais il avait pas d'barrage, il avait ni cabane, ni rien ; alors ils ont dit: "Nom de Dieu, si i pêche pas, c'est p't-êt’ parce que le lot est pas bon "... Allez, supprimé !
Q Et vous, votre saison, vous la faites avec quoi principalement ?
Avec les saumons. Enfin, c't' année, c'est pas l'cas ! Autrement, c'est ça. Y a eu des bonnes armées, y en a eu des mauvaises, comme partout, c'est l'cas de c't' année ! Ou alors à moins qu'i y aurait des aloses, si y a des aloses, ça peut rattrapper un p'tit peu, sinon... Ça, et l'filet à anguilles, c'est l'filet à anguilles qu'est l'mieux. Enfin, au point de vue rapport ! Nous, i nous "mettent" le barrage trop tard, la loi est trop dure ; mi janvier, c'est fini, les gros saumons sont passés !
La pêche au barrage
Q Beaucoup de gens pensent que c'est dans le filet du barrage que vous prenez le poisson.
Oh, oui ! Mêmes des nouveaux gardes, des jeunes gardes qui sortent de l'école ! Avant, on laissait le barrage tendu le soir, ça "salit" pas, eux prétendaient que, laissé tendu, le lendemain matin, y avait plus qu'à les ramasser à la pelle, parce qu'ils étaient tous derrière ! On a réussi à leur faire comprendre, quand même! Parce que là, c'est la maille de 180 d'côté, la tête d'un gars, sans toucher aux ficelles, passe à travers; c'est la peur, uniquement la peur.
Q Tout ce qui se ballade sur la Loire, vous devez le ramasser.
Ah, ben ça ! La moindre crue, ça y est ! Et y en a du bois à traîner, hein !
Q A part le bois, qu'est ce que vous pêchez,comme ça ? Ça doit pas être terrible, des rats?
Non, même pas, ça passe à travers ! Des macchabées, mais c'est pas souvent, heureusement ! Le dernier que j'ai trouvé, ... un algérien ! Y avait eu un accident au pont de Saumur ou de Tours... y avait eu deux gars qui s'étaient noyés ! Trois, quatre jours après, on a r'pêché un gars ! Il était barré là haut, là, dans le barrage ! J'aime autant pas en pêcher souvent parce que c'est des emmerdements !
Q Le principe, là, c'est que vous avez donc votre barrage, et puis ?
Le carrelet. Puis des fils dedans pour que quand l'poisson vire à la pointille, i s'en aille au fond du carrelet ; c'est tout ! Autrement, on aurait pas les ficelles, le carrelet servirait à rien ! on peut bien le tendre puis revenir ce soir le l'ver, y aura rien d'dans ! C'est uniquement une poche ! Et j'ai bien vu des fois des saumons qui vont jusqu'au bout et puis le temps qu'ça s'lève, i s'barrent ! C'est rapide, ces fis de garce !
Q Et vos ficelles, comment est ce qu'elles sont reliées ?
En haut, elles sont rattachées ensemble. En bas, elles sont mises en quinconce, comme ça, on en met une rangée, derrière on en met une autre, chaque ficelle se trouvant entre deux de la première rangée, et pis après toujours comme ça, de façon qu' ça fasse un faisceau. Si l'saumon va dans l'fond du carrelet, il est obligé d'toucher ! Et puis après, dans la cabane, on attend. Que'que fois, c'est long !
Q Une touche, ça se manifeste comment ?
Une petite secousse ! Pour comparer, un pêcheur à la ligne qui voit son bouchon s'enfoncer, i ferre ! Et ben, c'est l'même système )!... Faut tirer tout de suite, hein, pas un quart d'heure après ! Faut pas faire comme "Force 7" !
Q Qu'est ce qu'il avait fait, lui ?
Ben, dans l'temps, les gars qui v'naient nous voir su'l'bateau, on leur disait : "Tiens donc les ficelles un moment", quand on avait que'qu'chose à faire. Lui, une fois, quand j'suis rev'nu, après il a dit :"Ça a secoué un p'tit moment, mais ça a pas duré, j'ai pas tiré". Ah, nom de Dieu, je m'en rappelle ! Ben, c'est l'année dernière ou y a deux ans ! Et pourtant, c'est un "client", ben dis donc, c'est pas rien !
Q Et quand vous ferrez, qu'est ce qui se passe ?
Et ben, ça déclenche le contrepoids. C'est p't êt' c'qui va s'produire t'à l'heure, faut l'espérer !
Q Ça arrive que le carrelet ne veuille pas se lever ?
Oui, des fois, l'filet s'couvre de sable dans l'fond, y "sable", quoi, et pis tiens, pour lever, "tin¬tin" ! C'est vexant, quand y a un poisson, pis qu'y s'lève pas, c'con là ! Et pis, quand on sait pas c'que c'est, on dit toujours qu'c'est un saumon, hein !
Les poissons
Q Les pièces que vous prenez font quel poids, à peu près ?
L'alose, le maximum, 5 livres, minimum, un kilo. Le saumon, ça va jusqu'à 14, 15 kilos ! Ah, mais faut les trouver, ceux là ! i sont pas à tou-touche ! Hein !
Q Vous, le plus beau que vous ave pris, il faisait combien ?
17 ! 17 kilos ! Le seul ! Mais c'est pas plus dur à prendre un gros qu'un petit, hein ! Une fois qu'il est rentré dans l'carrelet !
Q Par saison, vous prenez à peu près combien de saumons ?
Cette année, c'est désastreux ! Depuis le 1er février, on en a pris 4. Et on devrait en prendre 40 !
Q A part l'alose et le saumon, ça vous arrive de prendre autre chose avec le filet du carrelet ?
Des bouts de brèmes, mais on les fout en l'air ! Y a qu'a pêcher des grosses brèmes, si on les donne aux copains, ils les prennent. Mais faut pas dire : "Ça fait tant", i disent que c'est plein d'arêtes ! Enfin, y a pas d'arêtes dès l'instant qui n'payent point !
Q Les sandres, ça n'arrive jamais ?
Non, ils sont trop méfiants. Ah, pis faut dire que l'sandre et l'brochet, ça vit pas en pleine eau... Où on est, là, il a été pris un esturgeon, y a 50 ans d'ça ! A c'moment là, ils l'ont pas rejeté, ils l'avaient emmené à la Foire Exposition à Angers, c'était l'époque de la Foire ! Ils l'avaient emmené vivant !
Q Les lamproies se prennent aussi dans le carrelet ?
On peut en pêcher une occasionnellement, mais faut faire vinaigre, hein ! C'est malin, ces fis d'garce là ! Ça fout l'camp par la queue !
Q C'est rapide ?
Ben, je veux ! Pis, c'qui n'gâte rien, c'est qu'c'est bon ! J'sais bien comment faire quand y a besoin dans l'vin rouge, avec des oignons ! Mais, ils n'les donnent pas, c't' année, hein ! 40 Francs, le kilo !
Evolution de la pêche au barrage
Dans l'temps, les gars pêchaient dans quatre pieds d'eau ; l'eau était limpide, les gars voyaient les aloses remonter la rivière. Y avait pas de contrepoids Pour relever le carrelet, y avait comme un "renard de puits". Ils tendaient, comme c'est toujours, du creux pour venir à "pas beaucoup". Ils se rapprochaient un petit peu, quand ils tombaient à 3 pieds et demi, 4 pieds. L'un montait su'l'toit. Celui resté en bas tenait les ficelles et disait "Vas-y ", et puis l'autre sur le toit de la cabane se laissait tomber; son poids à lui faisait contrepoids. L'origine de la pêche, c'est ça un bonhomme devant et "taupette" Nous on ouvre des carrelets à 9 pieds et demi, 10 pieds, c'est déjà pas mal avec un contrepoids ; mais eux ouvraient à 4 pieds, c'était des petits carrelets. C'était de la maille de 70, très fine, en chanvre ; le gars prenait à chaque fois, pis quand i 'n'avait marre, i disait "Allez, on s'en va 1". Ils ne pêchaient pas de nuit à c'moment-là, on a commencé à pêcher de nuit quand ça s'est commercialisé, l'alose. Tu sais pourquoi ils pêchaient des aloses ? Eh Ben, ils les mettaient dans des raies de charrues pour faire du fumier !
Y a longtemps d'ça Moi, j'étais pas au monde, vers 1900, quoi Mon père a connu ça, il est né en 9, en 15 ça existait encore, jusqu'à la guerre de 14.
Q Et quand vous avez commencé, c'était comment ?
Ah ! Faut pas comparer la pêche de maintenant avec celle d'il y a 40 ans non plus !
Sur la toue, y avait pas de fenêtre, juste un oeil de boeuf, les gars voulaient jamais voir de lumière. Le père Francis Payneau, qu'est encore vivant, i fermait les portes, et pas de bruit ... Et puis c'était pas une chaise pour s'asseoir, c'était un tuffeau, faut pas l'oublier ça, les gars I Maint'nant on a une chaise et encore pire un fauteuil (siège de voiture). L'patron, dans c'temps‑là, il aurait dit : "Vous allez vous endormir avec ça ! Un tuffeau, c'est dur, c'est suffisant ! Pis pas de lumière, la lampe pigeon, c'est suffisant pour la nuit ! parce qu'on travaillait la nuit.
A c't' époque‑là, les gars disaient "Aujourd'hui, on pêche pas, on commencera ce soir à 10 heures.", mais maint'nant, c'est le contraire, faut arrêter avant 10 heures !
On pêchait la journée aussi, mais c'était pas une obligation. Quand y avait 400 kilos d'aloses, le patron savait pas qu'en faire, parce que ça se vendait pas comme des petits pains non plus ! Dans le Maine-et-Loire, il était pratiquement pas vendu d'aloses, tout était expédié vers Paris.
Avant, le treuil était devant la porte (sur le côté). On avait modifié ça parce que le gars qu'était de nuit, il 'tait obligé d'ouvrir la porte pour tourner son treuil, et si il tombait de l'eau à plein temps, c'est mouillé dans la cabane. Pour que le contrepoids tombe facilement, on mettait des "billes de rodes" et on graissait la corde pour que ça tombe facilement. Avant, il ne pouvait pas fermer la porte à cause de la manivelle qui tournait dans l'embrasure pour remonter le carrelet.
Après, on a "mouflé" le palonnier au lieu d'être en prise directe, ça nous permettait de pêcher dans 8 pieds et demi d'eau. Les enlarmes, au lieu d'être comme maintenant, c'était des vrais poteaux ! Les gars avaient toujours l'habitude de travailler costaud. A c'moment‑là, on enfonçait les pieux du barrage à coups d'maillet ! C'étaient des pieux en bois, "frettés" en haut, pis les gars tapaient "à la volée" l'un après l'autre I C'était crevant, hein ! Et puis c'était aussi con à foutre dans I'fond, qu'à enlever, parce que c'était pas toujours d'Ia soie d'les arracher !
Le barrage, maint'nant, c'est du câble de section de 8, la grosseur d'une cigarette et à ce moment là, c'était du 12-13. Aussitôt que tu l'lâchais, il 'tait en plongée. Le gars, quand il avait mis 4 fourchettes debout dans le lit, il 'tait prêt à pêcher ! Ah ! Les gars, depuis c'temps‑là, tout a changé, et du poisson, y en a pus !
Q A part ça, qu'est‑ce qu'il y a comme changement dans les techniques de pêche ?
Les pieux de fer, autrement pour le barrage, les filets en nylon. Dans l'temps, la "toile" allait jusqu'en haut des fourchettes. Le câble du haut était aussi gros que celui du bas, c'qui fait qu'tous les huit jours, on mettait la toile qu'était dans l'fond en haut pour la faire sécher et inversement. Ça fait bien 15, 20 ans qu'on en a supprimé la moitié. On a des filets en nylon maint'nant, et puis l'soir, on les met à sécher, puisqu'on a pus l'droit d'pêcher la nuit.
Q Après, vous avez travaillé jour et nuit ?
Oui, 24 heures sur 24 1 On mettait une cabane de chaque côté du barrage, et on était quatre gars. Une fois par semaine, y en avait un des quatre qui s'en allait chez lui. Il allait faire son jardin ou quand c'était l'moment d'la chasse aux canards, il allait à la hutte, et on mangeait du canard pendant huit jours !
Q Avant, c'étaient des filets en chanvre ?
Ben tiens ! Et pis fallait les passer au sulfate de cuivre. Moi, j'ai connu un patron, dans l'temps, ! s'faisait pas chier, i passait ça dans du carbonyl, eh ben , quand c'est sec, ça baise les mains, oh ben nom de Dieu ! Ah, pis ça coupe !
Q Mais sinon, dans I'temps là, 24 heures sur 24, vous faisiez quoi ?
Ben, on était là, à lire, à jouer aux cartes des fois. On mettait les cartes sur une brosse parce qu'on pouvait s'servir que d'une main, quand on t'nait les ficelles. On l'a fait bien souvent !
Mais dans l'temps, on avait pas besoin d'ça, i v'nait toujours des copains qui prenaient les ficelles, pis nous on s'barrait ! C'étaient des gars habitués, et pis y avait pas d'timbres piscicoles comme maint'nant. Pas d'ràglement ! Parce que dans l'temps, y avait des gars qui s'en faisaient un plaisir de v'nir passer la journée, hein !
Sinon, y a toujours quelque chose à faire ! Comme faire un filet à anguilles ! Faut un mois et d'mi, rien que pour faire le filet, en comptant 8 heures par jour, hein ! Faut pas dire "J'vas en faire un p'tit peu aujourd'hui, pis un p'tit peu d'main !". Non, non, non, c'est long, hein !
La pêche à l'épervier
Q Cela vous est arrivé d'pêcher à l'épervier ?
Oui. Ah ben, souvent, même ! Ça s'fait plus maint'nant ça ! Et pourtant, maint'nant, avec le nylon actuel, on f'rait un épervier, un 600 mailles qui s'rait lourd comme une plume ; y aurait qu'les plombs à porter ! Tandis que dans l'temps qu'ils étaient en chanvre, c'était drôlement lourd, cette saleté-là !
L'épervier a été pratiqué à une époque uniquement pour pêcher le gougeon. Dans c'temps-là, y avait des bancs de gougeons On disait "Là où y a des couleuvres au bord des grèves, y a du courant, y a des gougeons i". Le gars, j n'faisait rien, il mettait pas les pieds dans l'eau! Il prenait une perche avec un petit bout de planche fixé en bout. Il brassait, les gougeons venaient sur la saloperie ; l'autre, avec son épervier, était dix mètres plus bas, avec son épervier pour le lancer. Quand il y a eu les guinguettes, le gars qui faisait ça prenait son seau d'appât et allait dans les petits remous. Quand il avait fini d'appâter, il venait jeter l'épervier. Mais, ils étaient jamais seuls, les gars, ils venaient toujours à deux, parce que la pêche professionnelle seul, c'est très difficile, pis on n'est pas gagnant parce que tu peux pas faire avec tes deux mains ce qui prend trois mains, c'est compréhensible !
Les effets de la pollution
Q Les gougeons, ça se fait rare, hein !
Oui, on voit bien qu'c'est la pollution d'l'eau, c'est la saloperie qu'y a au fond !
Q Ils sont r'venus les gougeons, depuis 4, 5 ans...
Oh oui, mais pas comme dans l'temps Des bancs de gougeons Ah, la, la Moi, j'dis qu'c'est pas la pêche qui les détruit, c'est la pollution I n'en veulent plus I r'montent pas les rivières, hein, les saumons, c'est pareil Et à l'estuaire, depuis 10, 12 ans, qu'est‑ce qu'ils font comme travaux, ah, ben, nom de Dieu Ils creusent jusqu'à 20 mètres de profondeur, toujours en train d'brasser
Q Et vous le sentez, ça ?
Ben c'est ça ! Mon idée personnelle, moi, c'est ça !
Q Et la centrale de Chinon ?
Non, et même que les gardes, i y ont été bien souvent, hein Ben, le poisson, ça lui fait rien du tout C'qu'i y a à craindre pour les saumons, dans les années à v'nir, c'est qu'ils fassent trop d'barrages Pour les ret'nues d'eau pour l'EDF, des trucs comme ça. Puis les "échelles à saumons", c'est pas bien équipé Ils les montent ou ils les montent pas, les pauvres fis d'garce La Loire, c'est plus entret'nu, c'est plus c'que c'était Et quand ils vont domestiquer la Loire, que l'eau s'ra à deux mètres toute l'année... Moi j's'rais plus du monde, mais enfin, commentqu'i f'ront, les pêcheurs ?
Q Aujourd'hui, il y a des mouvements d'eau qui sont peut‑être un peu plus brusques qu'avant
Disons que les crues, avant, duraient longtemps, et y avait d'l'eau longtemps sur les prés, ce qui permettait aux alevins de sortir ! Et pis les crues étaient toujours à la même époque ! L'été, c'était l'été ; l'hiver, c'était l'hiver et l'printemps, c'était l'printemps ! Mais maintenant, c'est baisé ! Là, on devrait être en bras d'chemise à c't' époqueçi d'l'année... Pour les aloses, je le répète sans arrêt, il faut d'la chaleur, y a rien à faire ! Ce qui est marrant, c'est que l'alose se mange pas avec les asperges et pourtant, c'est les deux trucs qui viennent ensemble ! Y a des asperges, y a des aloses ! Faut d'la chaleur pour les deux ! Aujourd'hui, les gars, c'est le poisson qui manque. Dans l'temps, on disait, pour s'amuser "T'en veux combien d'aloses ?" "Ben, l'autre disait, "deux... ou trois " "Allez, lève donc le bordel l" Y en avait cinq ! Il avait rien senti, c'en était bourré !
Q Sans sentir les touches ?
Bah, y en avait tellement ! Parce que c'est pas comme maint'nant ; là, on reste longtemps, mais dans l'temps, le gars qu'avait tendu ça 25 fois dans la journée, il en avait ras l'bol, hein ! Les mettre dans les caisses et puis les arranger, ben dame, c'est du boulot !
Q Vous en avez pris combien, le maximum, vous ?
50 ! 50 aloses d'un seul coup d'carrelet ! Ah, mais j'ai pas été l'seul à avoir 50 aloses. Un panier d'aloses, ça contient juste 50 aloses et, bien ou mal, y a toujours 40 kilos, enfin, disons à un kilo près, si elles sont bien alignées comme ça dans l'panier. C'était des paniers en osier, dans l'temps ; ça s'fait plus, ça, maint'nant. Mais moi, je dis que c'qu'a détruit beaucoup d'espèces, c'est la pollution, personne m'enlèvera ça d'l'idée ! Pis j'leur dis, aux gardes, et eux, i sont d'accord, i disent que c'est vrai !
Histoires de pêche
Q On dit souvent qu'les pêcheurs, c'est des menteurs
Ah, ben comme les chasseurs (rires)
Q Y en a par là qui sont réputés pour la menterie ?
Ah oui ! C'est à dire, c'est pas qu'i boivent, mais i vont pêcher un poisson d'trois livres, i va faire quatre livres, même s'ils l'ont pas pris ! "Ah, la, là T'aurais vu celui qu'était au fond, i m'a "cassé", i f'sait au moins 6 livres " I pêchent avec des balances ! Nous, où qu'i veulent pas nous croire, c'est quand on dit qu'on prend rien ! Ça, i veulent pas Icroire !
Q Vous vous souvenez d'un des procès que vous ont mis les gardes ?
Une fois,dans les premiers temps qu'on avait pus l'droit d'pêcher d'nuit. Il 'tait deux heures du matin, j'avais baisé un saumon p't-êt' une heure avant. Pis... une aut' touche ! J'me dis : "Nom de Dieu, ça va bien ". Je tire sur le "bazar", j'ouvre la porte et j'tombe nez à nez avec un garde ! Il 'tait en bateau et il avait tapé sur les ficelles avec un bâton !
Alors i dit : "Il est deux heures » !
Moi : "Deux heures !?! Ah, ben nom de Dieu, j'me suis endormi, j'suis crevé d'la semaine ..." Oh, le cinéma !
Mais à c'moment-là, ça s'passait bien. Ils apportaient la bouteille, i savaient qu'ils nous baiseraient, c'était tellement facile !
Q Et l'coup des trois tasses ?
Ah, ben tiens, il a été viré , c'garde là ! D'la berge, i nous avait vu travailler à trois su'l'filet, pis on doit pas êt' plus d'deux à pêcher su' l'bateau. Y avait Nanard, P'tit Roger, pis moi...
Le garde rent' dans la cabane et voit que P'tit Roger et moi (Nanard était sorti par derrière).
Il dit : "Comment ça s'fait qu'y a trois bols sur vot' table ? Vous êtes trois ?".
Moi : "Ben non, vous voyez ! On est qu'deux " Il dit : "Oui, mais y a 'trois bols “
Moi, j'réponds : "Ben M'sieur l'garde, faut que j'vous explique. Moi, j'bois l'café dans c'ui-là, et pis la goutte dans l’aut' ! C'est comme ça !!!
Lui, i m'croyait pas, naturellement ! I va pour ouvrir la porte de derrière. Nanard qu'entend ça, i détache le bateau, pis i s'couche au fond.
"Vous avez un bateau qui part à la dérive ", qu'il dit l'garde.
"Ah ! Ben forcément ! Vous êtes toujours à nous emmerder, alors on sait pus c'qu'on fait !!
Q Est-ce qu'il faut des qualités spéciales pour être pêcheur ?
Ben non, faut faire attention. Faut y êt' né ! Tout est là ! Faut que l'gars, il aime la pêche, d'abord, et pis qu'il voye comment ça se passe. Parce que, des gars, on mettrait des gars, là, ben quand le gars y s'rait une journée, une fois, une journée, toute la journée tout seul, il l'ferait pas deux fois. C'est la patience qu'il faut, et pis, l'amour de la pêche ! Et pis, c'est pas une prétention, mais faut déjà savoir le faire, pis i s'fait plus d'apprentis ! On peut pas embaucher un gars à première vue, comme ça, i s'rait "dans l’vide !